Dias de Campo un film de Raùl Ruiz
Durée 1h30
SYNOPSIS


Nous sommes à Santiago-du-Chili, dans un bar. Deux vieillards discutent en buvant. Il semble que l'un d'eux soit en train d'écrire un roman. Conversation bizarre : ils parlent d'eux-mêmes comme s'ils étaient déjà morts, le prétendu romancier, don Federico, cueille des allumettes dans son verre de vin, une curieuse étrangeté s'installe, où sommes-nous, au juste ? au royaume des morts ? Pas tout à fait. Tout au plus dans une vie antérieure, dans le souvenir. Car don Federico se met à évoquer le temps de sa jeunesse, jadis, quand il vivait à la campagne.

Voici que nous y sommes, dans le Chili profond. Don Federico y vit sur son domaine, c'est le maître des terres et des domestiques, un propriétaire aisé. La vie coule, un peu monotone, sous une pluie insistante. Don Federico est un homme sociable, il reçoit volontiers ses amis, les bourgeois éclairés du coin, et l'on mange bien à sa table. C'est aussi un bon maître, qui aime ses domestiques et ils le lui rendent bien. Surtout la plus âgée d'entre eux, Paulita. C'est elle qui l'éveille tous les matins, lui apporte le petit déjeuner, c'est elle qui interrompt ses rêves, un peu alcoolisés car il boit beaucoup, don Federico.

C'est que le soir, déjà à cette époque, il essaie d'écrire un roman. C'est ce monde-là que nous revisitons, venus tout droit du bar. D'ailleurs don Federico et son vieil ami suivent le même chemin que nous, ils sont eux aussi venus sur le domaine, si bien que le vieux don Federico aura plusieurs fois d'occasion de se croiser lui-même jeune, et de se revoir vivre, dans la maison pourtant désormais désertée. De revivre l'histoire de Paulita, et nous avec lui.

Paulita est là, sur le domaine, depuis toujours, elle fait partie de la famille. Elle a un fils, il est parti loin au Nord, il y a très longtemps, à Antofagasta. Mais il lui envoie des nouvelles régulièrement. Comme elle ne sait pas lire, c'est don Federico qui lui lit ses lettres. En voici une : il dit que tout va bien pour lui, que les affaires marchent, qu'il pourra bientôt faire venir sa mère pour vivre avec lui. Paulita devrait s'en réjouir mais très vite quelque chose l'effraye : par la fenêtre, elle voit, sous la pluie, passer un homme qui est mort, un vagabond qu'on a fusillé pour avoir tué un homme qui avait tué son chien. Où sommes-nous ? au royaume des songes ? des superstitions ?

Le rappel de ce fait-divers va alimenter la conversation, ce jour-là, de don Federico et de ses amis, l'avocat, le médecin, la pianiste. Après déjeuner, le médecin examine tous les domestiques du domaine, dont Paulita : il estime qu'elle n'en a plus pour longtemps, ne le luit dit pas mais le dit à don Federico. Alors celui-ci, affectueusement, propose à Paulita qu'ils partent ensemble dès le lendemain voir son fils, au Nord. Paulita est très réticente, mais finalement c'est décidé : ils vont y aller, dans deux jours. Le soir, et le lendemain, on peut constater comme la vie de la maison est étrange : don Federico jeune rencontre don Federico vieux avec l'ami du bar, un étranger passe dire qu'il s'en va, un ancien amant de Paulita paraît-il, l'ombre du fusillé passe et repasse dans le champ, les époques se brouillent, on dirait que des rêves s'emboîtent les uns dans les autres. Mais le voyage se prépare. On commence à en parler beaucoup, sur le domaine. On semble avoir des doutes quant à l'issue du voyage : il pourrait bien se faire, dit-on, que le fils ne soit plus à Antofagasta, ils ne le trouveront pas, c'est cela qu'on murmure, et que l'étranger revient dire tout spécialement à don Federico. Mais peu importe, de toute façon le voyage n'aura pas lieu : au jour dit, Paulita est mourante. Sur son lit de mort elle distribue ses biens.

Quand don Federico vient la voir une dernière fois, elle le prend pour son fils, elle a la joie de l'embrasser une dernière fois, après toutes ces années ! Don Federico se plie à cette comédie du retour du fils prodigue, Paulita pourra mourir heureuse. Un inconnu qui s'est joint à la scène aborde alors don Federico et lui dévoile le secret de Paulita : son fils ne lui écrit jamais, les fameuses lettres, c'est elle-même qui se les envoyait, les dictant à cet inconnu. Le fils n'est plus au Nord, dieu seul sait où il est, ce sale type qui a laissé tomber sa mère. Paulita mentait ? Don Federico ne veut pas y croire, et il est bien triste qu'elle meure. Une nuit passe, et voilà qu'au matin Paulita, l'agonisante, est fraîche comme l'œil ! Bien sûr ! elle a seulement fait semblant de mourir... Pourquoi aller au Nord, si loin, quand elle savait que son fils n'était peut-être pas au Nord ? Don Federico admire la prouesse, et se réjouit du fond du cœur que sa vieille Paulita aille mieux. Quant au fils... Don Federico se dit qu'il y aurait là matière à écrire, et c'est ce qu'il va faire.

Une voix lui demande comment va son roman, et pendant ce temps-là, dans le bar de Santiago, le vieux don Federico est assailli par des gens qui lui posent la même question. Où sommes-nous ? qui rêve de qui ? En vérité, don Federico est à son bureau en train d'écrire son roman, il a la tête ailleurs, il chevauche dans la campagne car il va raconter le jour où, justement en ce temps-là, quand il était encore jeune et que Paulita avait fait semblant de mourir, il était allé voir un gros propriétaire voisin, don Daniel, pour lui louer des bœufs. Un drôle de type, ce Daniel Rubio. Il vient on ne sait d'où. On ne lui connait ni père ni mère. Un fils naturel, semble-t-il. Un célibataire. Il a un grand domaine. En tout cas, c'est un homme qui connaît les usages, en affaires : il accueille volontiers don Federico. En fait, il ne vit pas tout seul, il vit avec une dame qu'il appelle la dame, plus âgée que lui, très accueillante aussi : une fois l'affaire des bœufs conclue, la dame et lui gardent l'hôte à dormir. Et le soir, au salon, dans les longues heures de l'après-dîner, on cause. Il apparaît que Daniel Rubio est de par ici, qu'il a vécu un certain temps au Nord, à Antofagasta, justement. Il apparaît que la dame a bien connu des oncles de don Federico, comme le monde est petit ! mais ils sont tous morts. Puis la dame s'éclipse, et alors, en buvant des petits coups de gnôle, Daniel Rubio va déballer son histoire à don Federico. En tout cas une histoire.

Qu'il n'a ni père ni mère, comme celui qu'on a fusillé et qui avait réapparu et qui avait fait si peur à Paulita. Enfin si, il avait une mère, mais une mauvaise mère, alors il l'a fuie. Il a vagabondé, mendié. C'est la dame qui l'a recueilli. Sa mère, avec un de ses concubins successifs, l'a recherché, retrouvé, il l'a de nouveau fuie. Il a quitté la dame et filé au Nord. Là il a durement travaillé, fait de bonnes affaires. Un jour, il est retourné dans la ville de la dame, comme ça, et il est tombé sur elle, devant sa maison démolie. Elle vivait à l'asile de vieillards, abandonnée de sa famille, il l'a à son tour recueillie. C'est pour ça qu'elle est là, avec lui, sur le domaine. Et voilà. C'est comme ça. Daniel Rubio a pas mal bu, il va se coucher. Le lendemain matin, don Federico prend congé. Juste avant de partir, Daniel Rubio lui donne une enveloppe, et lui dit de l'ouvrir plus tard. Rentré chez lui, dans son bureau, don Federico l'ouvre : c'est une demi-photo, une photo déchirée par le milieu, on y voit un enfant.

Un souvenir se fait jour dans la mémoire de don Federico, il va pour chercher quelque chose mais c'est Paulita qui lui tend quelque chose, une demi-photo, une photo déchirée par le milieu, on y voit un autre enfant. Et les deux demi-photos s'unissent parfaitement. C'est l'été, il y a longtemps. Deux enfants se font photographier ensemble, avant de se quitter car l'été se termine, l'un retourne à la ville et l'autre reste ici, à la campagne. La photo faite, l'un des deux la déchire par le milieu et ils s'échangent leur portrait, pour se reconnaître, le jour où ils se reverront. L'un, c'est le fils du maître, c'est don Federico, l'autre, c'est le fils d'une domestique engrossée par son concubin, c'est le fils de Paulita, c'est Daniel Rubio. Et Paulita, elle, le savait. En somme, ce sont des choses qui arrivent. La seule chose qui n'arrive pas, finalement, c'est le roman de don Federico, qui est encore là, au bar, avec son vieil ami, en train de boire et de se rémémorer sa vie antérieure, du temps qu'il n'était pas mort. Allez, santé !


Bernard Pautrat
Sortie le 15 décembre 2004